REVELATIONS SUR L'ASSASSINAT DE MONCEF BEN ALI - 1ier partie

Publié le par kurt cobain

Dix ans après

REVELATIONS SUR L'ASSASSINAT DE MONCEF BEN ALI


Par Slim Bagga

La presse tunisienne aux ordres d'un régime en quête de respectabilité traîne dans la boue à longueur de colonnes les dissidents et les opposants à  la mafia qui a mis la main sur le pays depuis 18 ans. Mais elle ne dit mot sur les scandales qui ont éclaboussé ce régime deux ans à peine après son  avènement.
L'affaire de "la Couscous Connexion" jugée à Paris en 1992 est l'un de ces scandales inoubliables qui ne donnera l'apparence de tomber dans les  oubliettes qu'avec la mort de Habib Ben Ali, dit Moncef, frère du Général-Président, en 1996.
Dix ans après cette disparition troublante, "L'Audace" est en mesure d'apporter des révélations sur ce qui était un assassinat mafieux, programmé et  exécuté au nez de la police tunisienne omniprésente...

Retour sur les faits

Au printemps 1989, la Brigade des stupéfiants dirigée par Joëlle P. parvient à interpeller à Orly une escouade de trafiquants de drogue qui se dirigeaient vers Tunis. Des mois de filature et d'écoutes téléphoniques ont permis à la police française d'être édifiée sur l'existence d'un vaste réseau de trafic de stupéfiants entre la Hollande et la France. L'originalité est que les membres de ce réseau sont tous Tunisiens. Le hic est que la filature et les écoutes téléphoniques à l'hôtel Edouard VII, dans le quartier de l'Opéra,  ont permis de constater que le chef du réseau est Moncef Ben Ali, frère du président de la République tunisienne auquel il est affectivement très lié.

Flairant que des mois de travail allaient s'évaporer dans la mesure où les trafiquants envisageaient de se rendre à Tunis et disparaître dans la nature, la commissaire décida d'agir et d'interpeller tout ce beau monde à leur embarquement. "L'homme bien sapé, qui la prit de haut en lui disant : vous ne savez pas qui je suis" était bel et bien Moncef Ben Ali. Toutes ces honorables gens sont néanmoins arrêtées (les frères Roma, Hamada Ben Cheikh,  actuellement vice-président de la municipalité de Kélibia, Noureddine Ben Aleya, restaurateur etc.) à l'exception de Moncef Ben Ali et de Ridha Hassen,  neveu du directeur de la sûreté nationale et ancien consul général à Rome, Frej Gdoura.
Le premier faisait prévaloir son lien de parenté avec Ben Ali, le second portait la valise en cuir pleine à craquer de billets Pascal  (500francs). Au sommet de l'Etat français, on est prévenu et l'Exécutif laisse faire.
 
Entre temps, l'avion Tunis-Air à destination de Tunis reste cloué au sol d'Orly avec plus de 200 passagers à bord. Le Général Ben Ali est informé  sur-le-champ. Il fit dépêcher un avion de Tunis à bord duquel des émissaires spéciaux sont porteurs de deux passeports diplomatiques: l'un portant l'identité de Moncef (Habib) Ben Ali et l'autre celle de Ridha Belhassen et non Hassen.
L'ambassadeur de l'époque, Brahim Turki, se chargea alors de récupérer ces précieux documents et de les fournir à la police française pour sortir  de ses griffes ces deux mafiosi au statut particulier.
Au bout de quatre heures et demi d'attente, l'avion Tunis-Air put décoller vers Tunis sans que les passagers n'eurent la moindre explication.

Arrivée à Tunis

A l'arrivée de l'avion à Tunis, la crème des tortionnaires et des proches de Ben Ali se trouvaient en bas de la passerelle. Il s'agissait du ministre de l'Intérieur de l'époque, Chedli Neffati, du directeur général des services spéciaux, Mohamed Ali Ganzoui, du directeur de la police de l'air et des frontières, Hamda Boucetta et du président-bis, l'homme d'affaires Kamel Eltaief. Destination: le Palais de Carthage...
C'est là que le Général Ben Ali reçut son frère et Ridha Hassen auquel il s'adressa en ces termes dans un bureau clos: "Si tu ouvres la bouche,  je te brise (je te n.... dans le langage ordurier de Ben Ali), si tu la fermes, je ferais de toi un homme". Et Ridha Hassen de répondre: "Qu'attendez-vous de moi, Monsieur le Président?" "Que tu quittes Tunis et que tu ne t'affiches plus avec mon frère Moncef le temps que les choses s'apaisent et rentrent dans  l'ordre", rétorqua notre Généralissime protecteur des mafieux et des orphelins.
Dans la semaine, Ridha Hassen liquida ses avoirs à Tunis et alla s'installer à Djerba avec sa jeune épouse, Saloua Ben Cheikh. Dans la semaine aussi, une licence de vente de tabac, une autre de vente d'alcool et une troisième d'import de friperie lui furent octroyées sur l'île...

Bras de fer politique et manipulation médiatique :

Cette affaire avait jeté un grand froid sur les relations franco-tunisiennes à peine rétablies après la visite du président Mitterrand à Tunis au  printemps 1989 (voir encadré 1). Ben Ali exigeait, en effet, que Mitterrand l'appelle et l'assure de son soutien. En d'autres termes, il croyait normal que le Président français intercède auprès de la Justice française pour étouffer l'affaire et qu'il intervienne auprès de la presse pour ne pas ébruiter  "l'incident", d'autant plus qu'à Tunis tout le monde ignorait le scandale.
Le président Mitterrand, à son honneur, ne bougera pas le plus petit doigt dans ce sens. Et la justice suivit son cours...
Parallèlement, pour la consommation locale et à l'intention des chancelleries occidentales mises au parfum, Ben Ali ordonna fin juin 1989 une opération de manipulation médiatique par le biais de l'hebdomadaire "Réalités". Pour être en fonction dans ce journal à l'époque, je peux en témoigner aujourd'hui et défie quiconque m'apporterait la moindre contradiction.
Le bouclage de l'hebdomadaire se fait le mercredi soir. Slah Saied, maquettiste de la couverture en recevait les éléments dès le mardi de chaque semaine après une courte réunion regroupant Moncef Ben M'Rad, Taieb Zahar, Hedi Mechri (qui n'avait pas encore fondé le docile "L'Economiste maghrébin"), Moncef  Mahroug et moi-même. Tout cela pour dire que le mercredi matin, la couverture en quadrichromie roulait déjà. Mais ce fameux dernier mercredi de juin 1989 allait s'avérer un jour de bouclage du journal de toutes les compromissions. A dix heures du matin, Mohamed Ali Ganzoui cherchait à me joindre en vain après avoir laissé cinq messages auprès de la secrétaire Amel Ben Naceur. A onze heures, Hedi Mechri et Taieb Zahar me demandèrent de les accompagner au ministère de l'Intérieur. "En route, ils m'expliquèrent que c'était une première en Tunisie à mettre à l'actif de Ben Ali que d'avoir démantelé un vaste réseau de drogue´dans la capitale et ses banlieues. En un mot, il fallait remanier la couverture et réécrire le dossier central sur un tout autre sujet: celui du combat de Ben Ali contre le trafic de la drogue. Tiens donc!!!

Arrivés au bureau de Mohamed Ali Ganzoui, celui-ci nous expliqua qu'un  vaste réseau a été démantelé entre Tunis, l'Ariana, Hammam-Lif, Sidi Bou Said et La Marsa. Amor Ayari, arrêté; Zine Sadfi, arrêté, Ould El Kebailia, arrêté; divers autres petits consommateurs sans envergure arrêtés... Vérification faite, c'était vrai. Tous ces gens étaient en prison. Mais ce n'était que de la poudre aux yeux: ils quitteront leurs cellules 10 jours plus tard (voir  encadré 2).

Durant la période 1989-1992, le régime de Ben Ali et ses services ont accusé les dissidents tunisiens à l'étranger de faire bouger la presse française (principalement "Le Monde", "Libération" et le "Canard Enchaîné") pour se pencher sur l'affaire et salir le frère du Président. Les dossiers montés de toutes pièces sont allés jusqu'à des incitations au meurtre... Ce qui n'empêcha pas Moncef Ben Ali de mourir assassiné et qu'une espèce d'omerta règne depuis dix ans sur sa disparition qui avait donné lieu à toutes les supputations et toutes les rumeurs possibles...

Publié dans tunisie

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