Chronique d’un jour d’humiliation

Publié le par kurt cobain

Chronique d’un jour d’humiliation*
 
Vendredi 21 avril, j’ai reçu un appel téléphonique de mon ami Me Raouf  Ayadi me demandant en tant que membre du « Collectif 18 octobre pour les Droits et les Libertés en Tunisie »  de venir assister à une réunion avec les membres de l’IFEX (International Freedom of  _Expression Exchange) en mission en Tunisie. Mission qui consistait à s’enquérir sur l’état des libertés auprès de tous : auprès des bourreaux comme auprès des victimes.
14h 30, c’est l’heure programmée du début de la réunion au siège du FDTL (sis rue d’Angleterre). Eu égard aux embouteillages causés par les sorties des gens des mosquées, des gens qui sont devenus ces derniers jours de plus en plus pieux, mais juste le temps d’une prière (avant et après c’est une autre histoire), je n’ai pas pu arrivé en même temps que les autres surtout les membres de l’IFEX.
 
En me dirigeant vers la rue d’Angleterre, et comme d’habitude je m’attendais à ce que cette réunion soit interdite comme toutes les autres auxquelles je participe. Je m’attendais aussi à ce qu’elle soit quadrillée comme les rues qui lui sont adjacentes par des fantômes, des fantômes correctement déguisés que vous pouvez facilement les prendre soit pour des banquiers (des golden boys) qui discutent opportunités et affaires en coulisse et hors de leurs bureaux, soit pour des universitaires, des académiciens en mal de foule et des trottoirs de la cité. De tout cela, il n’en est rien. Moi, qui ai pris l’habitude de les voir et de les dévisager (à part certaines nouvelles recrues qu’elles ne nécessitent pas des connaissances approfondies en physionomie pour les répertorier comme agents de la sûreté du régime), ils me rappellent la horde de figurants aux petits rôles d’espions et d’indicateurs dans le film de Bruce Lee à Hong Kong. Ne vous trompez pas Tunis est trop loin d’être Hong Kong, car à Hong Kong la plus grande bâtisse de la ville est le siège d’une grande banque symbole de l’arrogance d’une économie florissante et à Tunis elle est celle de l’unique parti politique symbole de l’arrogance d’un régime en mal de représentativité.
 
En arrivant à quelques mètres du siège tout ce « beau monde » commence à se mouvoir en ma direction, leurs oreilles collées aux téléphones mobiles. Instantanément, je me suis trouvé devant un cordon, un mur m’empêchant d’avancer. Une demi heure après des palabres, des discussions, des échanges teintés d’hypocrisie, j’ai contacté Me Raouf  Ayadi pour lui annoncer mon impossibilité physique de les rejoindre. Sa réplique était de rester là où je suis et qu’ils allaient descendre. Quelques instants plus tard, je voyais sortir deux messieurs et une dame de type européen venir vers moi pour me saluer. D’un coup de baguette magique, tout ce « beau monde » s’est évaporé, s’est enfui.
 
J’ai salué mes « sauveurs » en leur disant s’ils ne veulent pas acquérir la nationalité tunisienne pour me permettre de circuler librement. A cela il ont répondu en souriant : si nous devenions tunisiens, nous nous ne saurions plus te protéger.
Leur réplique fut comme un coup de poignard, je me suis senti humilié, déstabilisé.
 
Humilié, car j’ai réalisé ô combien j’étais redevable envers des étrangers dans mon propre pays pour jouir de ma primaire liberté, moi qui en tant que tunisien n’ai pas pu me faire respecter chez-moi, pas pu me permettre par mes propres moyens et par les moyens de la Constitution de mon propre pays **, d’assister à cette réunion.
 
Humainement humilié surtout pour tout ce « beau monde » , à qui on faisait croire qu’ils sont les maîtres des lieux, que rien ne leur est interdit ni les lieux privés ni les lieux publics, que rien ne les régit, ni la loi, ni la foi sauf  les taalimat (les ordres). A qui on faisait croire qu’ils sont les garants de la sécurité du régime, les représentants visibles de sa puissance voire de sa terreur.
Croyez-moi, je me suis senti humainement humilié pour tout ce « beau monde » que la simple présence de ces trois pacifiques étrangers  les a fait fuir, les a fait disparaître, eux  qui sont habitués par leur simple présence à faire fuir et faire disparaître leurs compatriotes.
 
Humilié mais inquiet aussi pour mon pays quand je pense qu’à la place de ces trois pacifiques étrangers, un militaire étranger pourrait marquer un jour les lieux. Certainement qu’il n’aurait personne parmi ces gros bras du régime pour nous défendre.
 
 
* Cette chronique n’est pas inédite, elle n’est pas exclusive
 
**Article 5. - La République Tunisienne garantit les libertés fondamentales et les droits de l'homme dans leur acception universelle, globale, complémentaire et interdépendante.
Article 10. - Tout citoyen a le droit de circuler librement à l'intérieur du territoire, d'en sortir et de fixer son domicile dans les limites prévues par la loi.
 
Fathi Jerbi

Publié dans tunisie

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